Unissons les contraires par Denis Marquet
Lorsque notre action n’a pas les résultats escomptés, nous avons tendance à répondre de deux manières : la première est d’en rajouter dans la même direction (« puisque ce médicament ne marche pas, doublons la dose ») ce qui, en général, ne produit rien de meilleur mais multiplie les effets indésirables ; la seconde consiste à se précipiter dans le comportement contraire. Cette attitude est plus raisonnable en apparence puisque, plutôt que de persister dans l’erreur, on change quelque chose. Mais elle n’est pas préférable pour autant. Empruntons un exemple à Aristote. Le guerrier qui s’est comporté en lâche, s’il veut se racheter, aura tendance à se précipiter au combat avec témérité. Il risque ainsi de se faire tuer ou de nuire à son camp. Le lâche, conscient du danger, n’agit pas ; le téméraire agit parce qu’il est inconscient. Se jetant dans le contraire d’une erreur, notre homme est tombé dans une autre erreur ! Pourquoi ? Parce qu’il a fui le vrai défi : unir action et conscience.
Alors trouverait-il, au-dessus de la lâcheté et de la témérité, le vrai courage. Ce qu’Aristote appelle le juste milieu, lequel définit pour lui la vertu ou l’excellence, ne se trouve jamais dans le simple contraire d’une attitude inadéquate, mais toujours à un niveau supérieur. C’est ainsi qu’en matière d’éducation, une génération qui a connu l’autorité sans la liberté aura tendance à octroyer la liberté sans l’autorité. Voulant donner à mes enfants ce dont j’ai manqué, je les prive de la structuration intérieure que confère l’autorité. Le défi : allier autorité et liberté, trouver le point d’unité entre la Loi et le Désir, en un mot : unir les contraires. Ces derniers sont pareils à des polarités électriques, les- quelles ne produisent de l’énergie qu’ensemble.
L’erreur existentielle consiste toujours à tenir l’une sans l’autre. Les deux étant nécessaires, il vient un temps où la polarité négligée réclame ses droits. Si, par exemple, j’ai pris l’habitude de me forcer et d’agir sous tension, un temps viendra où je serai obligé de me relâcher. Alors je me détendrai, mais je n’agirai plus. Bientôt, le besoin d’agir m’incitera à me tendre de nouveau. Je resterai pris dans une oscillation perpétuelle entre deux polarités (action tendue, détente inerte) tant que je n’entreprendrai pas d’élever mon niveau de conscience pour les vivre toutes les deux : au-dessus de l’opposition entre tension et relâchement se trouve le véritable lâcher-prise, où je découvre que je peux agir en étant détendu, mû non plus par la tension vers un résultat mais par l’énergie paisible qui s’empare de moi quand je lâche mon attachement au résultat.
Ordre et justice ; liberté et égalité ; penser et sentir ; amour fidèle et liberté sexuelle ; implication et détachement ; activité et passivité ; organisation et spontanéité. . . La vie est faite de couples de contraires qui aspirent à trouver en nous leur unité. En fuyant une erreur vers son opposé, nous cédons à l’illusion de croire que seul notre comportement est à modifier, alors que c’est nous qui devons changer. Comme le disait Einstein, « aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l’a engendré ». L’existence inconfortable des couples de contraires nous incite à un travail d’unité qui nous appelle à grandir.
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