mardi 7 décembre 2010

Lordon : Ne pas détruire les banques : les saisir !

 Au Royaume-Uni, le bank run de Northern Rock en septembre 2007

Un nouveau texte de Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS, en rapport avec le bank run de Cantona, auquel il s'oppose, tout en reconnaissant le fonds de vérité de la démarche.
Mais plus important, il propose une voie alternative très intéressante, immédiatement applicable et très structurée : la saisie des banques. Il défend le point de vue que c'est la seule solution, à part la révolte de la rue façon bank run. Un texte de très grande qualité, très lisible et un peu long.

D'habitude je mets extraits, aujourd'hui, je dirais plutôt morceaux choisis. C'est long aussi, mais lire le texte me paraît vraiment faire œuvre sociale.


Et, Némésis incompréhensible de tous ceux qui, l’ayant voulue ainsi, l’ont défendue envers et contre tout, l’Europe commise à la finance contre ces citoyens mêmes est sur le point de périr par la finance.

La croyance financière à la dérive

L’union monétaire est donc vouée à dévaler, avec les investisseurs auxquels elle a lié son sort, la pente du chaos cognitif collectif, et il n’y aura plus qu’à s’étonner de l’étonnement de ceux qui découvrent affolés que « plus rien ne marche » 
 
La succession des bail-outs européens n’arrête plus rien mais a l’effet exactement opposé d’allonger sans fin la liste des suspects – la seule chose dont débat maintenant la finance étant l’ordre dans lequel il faut les « prendre ».

Misère du fonds de secours européen

C’est cet état de fait que l’EFSF [le fonds de soutien européen] s’emploie à masquer autant qu’il le peut. Mais l’illusion qu’il avait congénitalement vocation à produire, et celles qu’il entretient sur son propre compte, finiront bientôt par craquer.

L’Irlande et le Portugal à eux deux devront trouver 60 milliards en 2011 et 40 pour 2012. L’Espagne à elle seule aura besoin de 190 milliards d’euros pour 2011 et 140 autres milliards pour 2012 [9] – 330 milliards et encore : un an en avance de l’échéance de l’EFSF, plus les 100 des deux précédents, 430 milliards à eux trois… pour une enveloppe globale de l’EFSF de 440 milliards [10] – et plaise au ciel que tout aille bien pour l’Italie et la France, les deux têtes de turc d’ores et déjà inscrites dans la file.

Car pour obtenir la notation triple-A qui lui permet de lever des fonds à coût moindre que les Etats en difficultés, l’EFSF a été contraint de sur-collatéraliser à 120% ses actifs 
sur les 440 milliards nominaux seuls donc 366 sont réellement disponibles.

Le syllo de Canto
 
L’Europe invente à la hâte de nouvelles institutions supposées venir en aide « aux États » là où tous voient bien qu’il s’agit de sauver les banques pour la deuxième fois.
Le succès de la vidéo Cantona n’a pas d’autre origine, et il faudrait le fin fond de l’ineptie politique pour n’en pas saisir le sens réel qui dit l’arrivée aux limites de ce que les populations sont prêtes à tolérer de scandale.

Bank run : il n’y en aura pas pour tout le monde !

Planifiant sa propre détention d’espèces sur la base des comportements moyens ordinaires, la banque se retrouve incapable de faire face à des demandes de retrait brutalement modifiées.

Lessiveuses et patates

Car, les banques mises au tapis dans un bel ensemble, il faut tâcher de se figurer de la plus concrète des manières ce à quoi peut bien ressembler la vie matérielle.

Ce ne sont pas les banques, c’est cette forme de banque qu’il faut détruire.

Faire tomber les banques,
mais par le défaut souverain…

C’est l’emballement collectif des investisseurs qui se charge de déployer cette dynamique fatale, la croyance financière au défaut souverain faisant advenir le défaut souverain – et puis juste après le défaut bancaire ! Et la synergie des faillites combinées s’annonce d’une telle magnitude que tous les EFSF de la terre peuvent d’ores et déjà aller se rhabiller.

La meilleure option à tout prendre consisterait bien plutôt à ce que, par inversion des rôles dans la comédie du bras d’honneur, ce soit l’Etat qui s’en charge en déclarant souverainement le défaut sur sa dette publique.

… et les saisir !

Saisir les banques faillies n’a donc aucun caractère d’attentat à la propriété puisque la propriété a été anéantie par la faillite même, la faillite étant de ce point de vue l’équivalent capitaliste de la bombe à neutrons qui tue les droits de propriété en laissant intacts les bâtiments, les équipements et même, quoique pendant un temps relativement court, les humains salariés capables de les faire marcher. C’est tout cela qu’il faut récupérer.

La banque centrale, ultime recours

Au rang des créditeurs internes, il faut compter également tous les épargnants individuels, détenteurs de titres publics par assurances-vie et Sicav interposées. Disons tout de suite que le défaut souverain a spontanément de bonnes propriétés de justice sociale puisqu’il frappe proportionnellement les plus gros épargnants qui sont aussi les plus riches, même si l’on peut envisager de garantir ces créditeurs-là à hauteur d’un certain plafond qui ne ferait plonger que les plus fortunés. En remontant l’ordre de séniorité, viennent enfin les déposants dont il est assez évident que les dépôts à vue et à terme doivent être garantis – hors de quoi le sauvetage des banques est simplement privé de sens.

Une réduction brutale des périmètres d’activité : les banques en saisie-redressement abandonneront tout ou partie de leurs activités de marché et seront priées de se reconcentrer sur ce qui est historiquement leur métier, à savoir le crédit à l’économie et l’offre de formules d’épargne simples – l’une des opportunités offertes par la faillite étant donc de permettre de médiocriser la finance [22].
Notre heure

Il y a cependant quelques raisons de préférer le soulèvement politique à l’insurrection bancaire. Car la seconde nous abat nous-mêmes dans le même mouvement où elle abat ses ennemis, alors que le premier conserve la Banque comme principe mais nous rend les moyens de lui donner la forme que nous voulons – et dont nous avons besoin.
Le texte ici

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