Ce que ça peut être confortable, une vie de chroniqueur, quand d’autres parlent si intelligemment à sa place. L’autre en question s’appelle Eva Joly. Elle s’exprimait ainsi dans son discours de clôture des États généraux pour l’Emploi et l’Écologie, le samedi 23 octobre.

Un constat sans appel

Laissons donc nos cellules grises se prélasser tandis qu’Eva Joly poursuit :
« Comment peut-on croire que la croissance va régler nos problèmes,
* lorsque, au sein de l’Europe, nous avons vingt-cinq millions de chômeurs,
* lorsque le chômage des jeunes atteint 40% en Espagne, et même 20% en Suède,
* lorsque l’année dernière, nous avons encore distribué un bonus de 144 milliards de dollars aux traders de New-York en même temps que le prix des matières premières flambent et que les pays africains ont vu leur facture alimentaire sextupler en dix ans,
* lorsque l’ensemble des budgets de l’Union européenne est à la baisse,
* lorsque le Royaume-Uni va baisser le sien de 95 milliards et licencier 500 000 fonctionnaires ? »

Le PIB, un indicateur de richesse absurde

Après cet impitoyable procès-verbal, ne restait à la dame qu’à en appeler à un pressant nouveau modèle de société, en tordant le cou au PIB (Production intérieure brute) comme indicateur de référence par excellence d’un état de richesse.
« Quel sens a le PIB d’un pays quand après la catastrophe en Hongrie [les boues rouges, ndlr], on va voir le PIB de Hongrie augmenter par le coût de dépollution et le coût de reconstruction ? »
Et Eva Joly d’en rajouter en citant un récent rapport de l’ONU daté du 5 octobre, chiffrant le coût « ahurissant » des catastrophes écologiques généré par les multinationales dans la seule année 2008 : 2 500 milliards de dollars qui eux aussi sont venus gonfler d’autant les PIB des pays concernés. Augmentation de “richesses”, vraiment ?
Une petite louche pour finir sur la réforme des retraites et sur la politique d’exclusion.
« Lorsque le terrain ne correspond pas à la carte pour notre gouvernement, il devient autoritaire, il devient dogmatique, il ne négocie plus, il impose des solutions, des mauvaises solutions. Et pour moi, la réforme des retraites est de ce type-là. On l’impose, on passe en force, on prône l’exclusion, on prône le désamour, on prône la haine de l’autre. »

Petits flottements sur la méthode de sortie de crise

Eva Joly apparaît ensuite un peu embarrassée sur le problème de l’emploi. Elle reconnaît volontiers que la création d’emplois verts — entre 500 000 et 600 000 postes sur 5 millions de chômeurs français reconnus — ne peut être qu’une toute petite partie de la solution.
D’accord pour la réduction du temps de travail chère à Pierre Larrouturou, conseiller d’Eva Joly, Mais le repli vers un très hypothétique partage du travail comme solution au chômage témoigne à mon sens d’un reste de psycho-dépendance irréaliste à l’égard d’une notion de plein-emploi héritée du modèle condamné. Et rayée du paysage social depuis plus de trente ans.
De même, le chant allégorique à l’Union européenne comme porte de sortie à terme de la Grande Crise sonne singulièrement faux. Proposer au Parlement européen un revenu minimum pour l’ensemble des peuples européens (à quand celle tout aussi indispensable de revenu maximum ?) est une excellente idée. Mais, compte-tenu de la composition dudit parlement et du rôle étouffant de la Commission européenne, cette proposition reçut comme il se doit la fin cinglante de non-recevoir due à tout naïf qui s’ignore.
Sur tous ces points, on souhaitera à Eva Joly et à ses compagnons une lucidité équivalente à leur analyse de l’effondrement néo-libéral. Prôner un nouveau modèle est une bonne chose, mais à condition que celui-ci soit vraiment nouveau, entièrement repensé sur une logique originale. Non se contenter d’être une simple resucée mal digérée du modèle précédent et de ses égarements.

La vidéo du discours ne s'installant pas correctement ici vous pouvez la voir sur le yetiblog.