lundi 23 avril 2012

Louis Pasteur, le courrier de la mort

Un enfant peut recevoir plusieurs dizaines d'injections (lien)

Un courrier de Louis Pasteur souvent considéré comme un sauveur de l'humanité. Il demande à l'empereur du Brésil de lui fournir des condamnés à mort pour ses expériences sur les vaccins.

Avant de lire le texte, n'hésitez pas à relire le billet L’histoire dingue de la naissance de la "médecine moderne".

À Pedro II, empereur du Brésil. Paris, le 22 septembre 1884

Sire,

Le baron D'Itajuba, chargé d'affaires du Brésil, m'a fait parvenir la lettre que votre majesté a bien voulu m'écrire à la date du 21 août dernier. L'académie a accueilli avec des marques d'universelle sympathie le témoignage que vous avez accordé à la mémoire de notre illustre confrère, M Dumas. Elle ne sera pas moins sensible aux paroles de regret que vous me priez de lui transmettre au sujet de la mort si prématurée de M Wurtz.
Votre majesté a la bonté de me parler de mes études sur la rage. Elles sont assez avancées et je les poursuis sans interruption. Cependant j'estime qu'il faudra encore près de deux années pour les amener à bonne fin, c'est-à-dire pour que je sois en mesure de proposer aux pouvoirs publics l'application pratique de mes résultats... il faut donc arriver à la prophylaxie de la rage après morsure.
Je n'ai rien osé tenter jusqu'ici sur l'homme, malgré ma confiance dans le résultat et malgré les occasions nombreuses qui m'ont été offertes depuis ma dernière lecture à l'académie des sciences. Je crains trop qu'un échec ne vienne compromettre l'avenir. Je veux réunir d'abord une foule de succès sur les animaux. à cet égard, les choses marchent bien. J'ai déjà plusieurs exemples de chiens rendus réfractaires après morsures rabiques. Je prends deux chiens, je les fais mordre par un chien enragé. Je vaccine l'un et je laisse l'autre sans traitement. Celui-ci meurt de rage ; le vacciné résiste. Mais alors même que j'aurais multiplié les exemples de prophylaxie de la rage chez les chiens, il me semble que la main me tremblera quand il faudra passer à l'espèce humaine.
C'est ici que pourrait intervenir très utilement la haute et puissante initiative d'un chef d'état pour le plus grand bien de l'humanité. Si j'étais roi ou empereur ou même président de république, voici comment j'exercerais le droit de grâce sur les condamnés à mort.
J'offrirais à l'avocat du condamné, la veille de l'exécution de ce dernier, de choisir entre une mort imminente et une expérience qui consisterait dans des inoculations préventives de la rage pour amener la constitution du sujet à être réfractaire à la rage. Moyennant ces épreuves, la vie du condamné serait sauve. Au cas où elle le serait, -et j'ai la persuasion qu'elle le serait en effet, - pour garantie vis-à-vis de la société qui a condamné le criminel, on le soumettrait à une surveillance à vie. Tous les condamnés accepteraient. Le condamné à mort n'appréhende que la mort.
Ceci m'amène au choléra dont votre majesté a également la bonté de m'entretenir. Ni les docteurs Straus et Roux, ni le Dr Koch n'ont réussi à donner le choléra à des animaux et dès lors une grande incertitude règne au sujet du bacille auquel le Dr Koch rapporte la cause du choléra. On devrait pouvoir essayer de communiquer le choléra à des condamnés à mort en leur faisant ingérer des cultures de bacille. Dès que la maladie serait déclarée, on éprouverait des remèdes qui sont conseillés comme étant les plus efficaces en apparence.
J'attache tant d'importance à ces mesures qui si votre majesté partageait mes vues , malgré mon âge et mon état de santé, je me rendrais volontiers à Rio-De-Janeiro, pour me livrer à de telles études de prophylaxie de la rage ou de contagion du choléra et des remèdes à lui appliquer.

Je suis, avec un profond respect, de votre majesté, le très humble et très obéissant serviteur.

L. Pasteur.

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