lundi 25 octobre 2010

Le point de fusion des retraites - Frédéric Lordon

 
Frédéric Lordon est économiste, directeur de recherche au CNRS.
Il est notamment l’auteur de Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Raisons d’agir, octobre 2008 ; Conflits et pouvoirs dans les institutions du capitalisme, Presses de Sciences Po, 2008 ; Et la vertu sauvera le monde, Raisons d’agir, 2003 ; La politique du capital, Odile Jacob, 2002.


L'article, paru sur le site du Monde diplomatique, étant assez long, vous trouverez quelques extraits pour vous mettre en jambe. Lire l'article en entier est cependant indispensable.



Une « réforme », mais pour qui ?

"un formidable raccourci – la retraite contre le triple-A – le degré auquel les intérêts fondamentaux du corps social ont été subordonnés à ceux des opérateurs des marchés."

Organisation de la décote et capitalisation rampante

"l’habileté de la manœuvre qui donne pour une défense et illustration de la retraite par répartition une entreprise de promotion particulièrement insidieuse de la retraite par capitalisation."

Une riche idée : financiariser les retraites en pleine crise financière !

"la reproduction à l’identique du programme étasunien – la propriété immobilière plus la propriété financière"
  
"l’énorme déconfiture des fonds de pension étasuniens"

"la crise financière attaque les fonds de pension des deux côtés de leurs bilans. Leurs actifs sont évidemment dévalorisés par le plongeon des cours. Mais plus insidieusement, dans le même temps où leurs actifs se contractent, leurs passifs (c’est-à-dire l’ensemble de leurs engagements) gonflent par un effet actuariel lié à la brutale baisse des taux d’intérêt décidée par la banque centrale pour tenter de réanimer les institutions bancaires."

"on ne saurait trop souligner l’à-propos historique du projet de réforme français qui, pour toutes ses dénégations, se propose néanmoins subrepticement d’y conduire, au moment précis où le modèle importé menace ruine."

L’ultime verrou de la financiarisation

"il y a pire que la perspective de la déconfiture annoncée de la (future) retraite capitalisée"

"un effet structurel de verrouillage définitif de la libéralisation financière. Par les masses d’épargne qu’elle concerne, la retraite capitalisée pousse l’implication financière du salariat à son comble et, par là même, lie objectivement les intérêts des salariés aux bonnes fortunes de la finance…"
  
"les pauvres pensionnés britanniques en auraient les yeux qui dégringolent des orbites à découvrir les proportions phénoménales dans lesquelles se sucrent les principaux gestionnaires de leurs fonds, le pompon revenant à HSBC qui pour 40 années de versements mensuels de 200£, soit un total de 120.000£ (96.000£ plus les avantages fiscaux) se sert sans mollir une commission de… 99.900£, soit un modeste 80%"

"L’idée de faire prendre les pertes financières par les actionnaires et les créanciers lors de la prochaine crise, se heurtera inévitablement au fait que les actionnaires et les créanciers de dernier ressort ne sont autres que d’ordinaires salariés impliqués dans la finance par le truchement de leurs fonds de pension et de leurs fonds mutuels."

"par un diabolique effet de court-circuit, le salariat se trouve placé aux deux extrémités de la chaîne, ainsi devenue boucle, et le schème linéaire du face-à-face du capital (financier) et du travail perd toute consistance pour s’évanouir presque complètement : bien sûr les salariés continuent d’être sous l’emprise de la contrainte de la finance... mais en fait de la « finance », abstraction intermédiaire puisqu’en bout de ligne, la « finance »… c’est eux !"
 
"Il n’y a pas à aller chercher très loin les admirables collisions que peut produire cette logique perverse du renfermement contradictoire sur lui-même d’un salariat fracturé par son implication financière. Ce printemps n’a-t-il pas vu l’opinion britannique s’insurger des pénalités dont le gouvernement étasunien a menacé BP ? C’est qu’en effet le cumul des amendes anticipées et des coûts de nettoyage du Golfe du Mexique a divisé par deux le cours de l’action BP… à la très grande fureur des retraités anglais loin des flaques de mazout – car BP est un poids lourd de l’indice Footsie et l’un des plus importants supports des pensions britanniques !"
"Voilà donc le simplissime secret de ce qu’on pourrait appeler l’économie politique de la financiarisation : à quoi la finance carbure-t-elle en effet sinon… à l’épargne ? Et d’où viendra majoritairement l’épargne une fois les masses énormes des pensions jetées dans la bataille sinon… des salariés eux-mêmes ? Collectivement opprimés à leur frais comme salariés alors qu’ils essayent tous de défendre individuellement leurs intérêts comme pensionnés !"
"La grande, l’immense intelligence stratégique du capital financier c’est de s’être retiré du rapport d’antagonisme frontal pour laisser se refermer sur elle-même la boucle salariale-épargnante et n’apparaître plus que comme un « simple » intermédiaire."

Sur-fusion, révolution?

"l’injustice intrinsèque de la présente réforme fait inévitablement coalescence avec la menace d’arrière-plan d’une destruction planifiée de la répartition, c’est-à-dire la mise à mort de l’un des principes fondamentaux de la société française d’après-guerre, mais aussi la promotion annoncée de la financiarisation définitive alors même que la crise en condamne absolument l’idée, le rejet d’un travail devenu épuisant, et pour certains haïssable, à force de pressions productives…"

"L’emprise de la finance a rendu la vie de beaucoup de salariés odieuse. Comme si ça n’était pas suffisant, la capitalisation rampante en fera de même avec celle des pensionnés."





 

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